R.F.F. : état des lieux

Créé en 1997, l’établissement public avait d’une part pour objectif de délester la SNCF de la très lourde dette contractée dans le cadre d’un mauvais montage financier pour la construction du TGV, et d’autre part de préparer l’ouverture du réseau à des opérateurs privés.

rff2008_1_.jpg Aujourd’hui après 11 ans d’existence, le bilan s’apparente à un véritable scandale.

Une situation financière catastrophique

Les comptes sociaux annuels font apparaître une monstruosité comptable : pour un actif total (valeur de la société, c’est à dire des voies ferrées, postes d’aiguillages, transformateurs, caténaires, signalisation, quais de gares) de 32 milliards d’euros, l’entreprise est endettée de 33 milliards d’euros ! Dans le même temps on constate des capitaux propres négatifs de plus de 1 milliard d’euros.

Le capital de RFF n’existe plus, la dette est même supérieure au bilan, puisqu’elle absorbe l’absence de capital, en fait les déficits successifs qui ont avalé tous les capitaux propres. RFF doit plus d’argent qu’il n’en vaut ! En gros les banques ou l’état maintiennent l’entreprise sous perfusion. Une entreprise classique aurait été liquidée depuis longtemps, en l’absence de recapitalisation, mais RFF c’est l’Etat et les prêteurs ont confiance dans l’Etat français...

Quant au résultat de l’exercice 2007, il est négatif : l’entreprise a perdu 795,8 millions d’euros (elle en avait perdu 283,4 millions en 2006),

En regardant de près, on constate que le résultat d’exploitation est à peu près équilibré (- 68 millions en 2007, mais gain de 223 millions en 2006). Cela va néanmoins avec les 800 millions d’euros de subventions d’exploitation annuels...

L’écart provient donc bien entendu du résultat financier qui plombe le compte de résultat.

Un vrai trou noir...

Un réseau très délabré, et sans doute trop dense

RFF exploite un réseau de 30 000 km de voies ferrées. En 2005, le rapport Rivier commandé par RFF rappelait que près de la moitié de ce réseau n’absorbait que 6 % du trafic. Le rapport faisait un état des lieux très alarmant.

L'état du réseau est tel que dans 5 à 10 ans, en l'absence de l'apport de près d'un milliard d'euros annuels supplémentaire, la moitié du réseau devra être fermé, car hors d'usage (voir mon précédent article à ce sujet).

Ces prévisions pessimistes se concrétisent aujourd’hui. Fin 2007 et début 2008, deux lignes du réseau TER Auvergne et Limousin ont été contraintes de fermer pour des raisons de sécurité (Montluçon – Eygurande et Volvic – Lapeyrouse), une troisième, dans les Cévennes, (Clermont - Nîmes) risque de fermer à la fin de l’année.

Un partage des rôles malsain

Par démagogie (pression des syndicats), RFF n’a jamais obtenu les moyens humains et techniques d’assurer l’exploitation et la maintenance de son réseau. RFF délègue donc ses prérogatives de gestionnaire et de maître d’ouvrage à la SNCF.

Un curieux aller et retour financier s’effectue donc entre la SNCF « transport » qui paye RFF pour faire circuler ses trains et RFF qui paye la SNCF « infrastructure » pour exploiter et entretenir son outil de production.

Cela a pour conséquence des dysfonctionnements très perturbants pour l'usager (l'affaire récente des caténaires en est la preuve), voire dangereuse (plusieurs déraillements cette année). RFF et la SNCF se renvoie la faute.

Une opportunité pour RFF : l’ouverture du trafic à la concurrence

Depuis 2007, les opérateurs fret privés peuvent emprunter le réseau ferré national. D’ici peu de temps, les transporteurs privés de voyageurs pourront emprunter le réseau ferré, et les régions pourront attribuer l’exploitation des TER à des opérateurs autres que la SNCF. Citons parmi les concurrents possibles de cette dernière : Véolia Transport (anciennement CFTA), Colas Rail (fret), Air France, Virgin Rail, Deutshe Bahn.

Ces compagnies investiront, notamment pour le fret, dans des plateformes intermodales route/rail et apporteront sans aucun doute de nouveaux gisements de trafic à RFF.

Une menace pour RFF, le désengagement de l’Etat et l’émiettement du réseau

L’Etat n’a manifestement plus l’envie, ni les moyens d’investir dans le transport ferroviaire. La sous capitalisation (c’est un euphémisme !) de RFF, la faiblesse de l’investissement (en regard du besoin) en sont la preuve !

Pour les infrastructures nouvelles, une solution simple, actuellement utilisée est le partenariat public-privé (PPP), rien d’autre que le bon vieux système de la concession. C’est le cas notamment pour Tours-Bordeaux. RFF qui ne peut en principe plus s’endetter, attribue à un partenaire privé (groupe de BTP en général) le financement, la construction, l’exploitation et la maintenance de la ligne pour 30 ou 40 ans, la ligne revenant à RFF lorsque le concessionnaire a amorti son investissement et réalisé un gain d’argent.

La conséquence la plus problématique : un émiettement du réseau, exploité par plusieurs opérateurs.

Comment se sortir de cette situation ubuesque ?

Le dépôt de bilan et la liquidation judiciaire

C’est la solution que préconiseraient les plus libéraux... l’entreprise serait liquidée et les actifs (voies ferrées) revendues à des actionnaires privés. Il va sans dire qu’hormis les lignes à Grande Vitesse, il ne resterait plus grand chose du réseau ferré national.

Les préteurs ne seraient plus remboursés, ce qui nuirait gravement à court terme à la crédibilité de l’Etat (inimaginable dans la situation actuelle !), sans parler des dizaines de milliers de cheminots qui se retrouveraient sans travail !

Cette solution à la soude caustique (mais qui se défend) aurait le mérite d’assainir le système ferroviaire. Cependant, elle aurait un coût pour l’Etat et la société exhorbitant. Elle est selon moi à exclure.

Les partenariats public privés (PPP)

RFF est confronté a deux enjeux : financer les infrastructures nouvelles et financer la modernisation de son réseau ancien.

On l’a vu, la solution du PPP est intéressante pour RFF dans un premier temps (pas de souci pendant 30 ans, et récupération de l’infrastructure). Mais elle s’avère en fait être un leurre à long terme. photo : philippe Brenet

Tout d’abord, le réseau va être morcelé : comment dialogueront les exploitants aux points de raccordement ligne nouvelle privée / ligne classique pour assurer la continuité de la circulation des trains, et la gestion des conflits ? Cela ne va t-il pas créer de nouvelles faiblesses, propices à des surcoûts et à une dégradation du service ?

Au bout de 30 ans, lorsque le concessionnaire s’en va, dans quel état se trouve la ligne ? Une remise à niveau sera à prévoir, comment RFF va t-il financer cette régénération ? Une entreprise normale la finance avec l’exploitation... Dans le cas présent, le concessionnaire s’en va avec ses bénéfices... concrètement RFF se retrouvera contraint de contracter avec un nouveau concessionnaire.

Enfin, le PPP ne résout pas le problème du réseau classique, pire, il prive RFF d’un outil de production rentable, qui lui permettrait de rendre ses comptes plus présentables.

Alors, quelle stratégie doit adopter l’état actionnaire ?

Pour résumer ce qui vient d'être dit, RFF se trouve donc dans une situation financière catastrophique, avec un réseau fortement dégradé.

Dans le même temps, l’actionnaire (l’Etat) n’a plus d’argent et RFF a recours à des mécanismes de financement privé des infrastructures nouvelles.

Mais des opportunités de développement apparaissent avec l’ouverture du réseau à de nouveaux clients (bien qu’avec la crise actuelles cette opportunité soit partiellement obérée).

A partir de ce constat la solution que je propose se déroulerait en 2 temps :

Premier temps : le redressement

L’Etat, malgré sa situation financière prend ses responsabilités et recapitalise partiellement RFF, comme le propose la Cour des Comptes, quitte à froisser Bruxelles (en ce moment, il n’y aurait à mon avis pas trop de remontrances). Cela rendrait la « la mariée » sinon jolie, du moins présentable. De plus, l’Etat prévoit une subvention de désendettement versée annuellement sur 5 à 10 ans.

Dans le même temps, RFF et le ministère de l’Ecologie redessinent le réseau ferré d’interêt national, comme je le préconisait dans mon précédent article, avec logiquement la fermeture de 5 000 à 7 000 km de lignes.

Ces lignes, dont l'infrastructure est arrivée en fin de vie, sont celles pour lesqelles un investissement de modernisation serait démesuré par rapport au service rendu (dessertes d’interêt local en milieu rural notamment, de toutes façons pratiquement plus utilisées).

Enfin, comme le préconise le Cour des Comptes, RFF intègre par voie de détachement de leur entreprise les 55 000 cheminots de la SNCF affectés à l’exploitation et à l’entretien des installations fixes, aux horaires, à l’ingénierie de maintenance, à la réglementation ferroviaire et à la formation des conducteurs. RFF embaucherait ensuite ses propres agents au fur et à mesure des départs en retraite.

Second temps : restructuration capitalistique pour moderniser et le développer le réseau ferroviaire national.

L’Etat, après un vote parlementaire, transforme RFF en société anonyme (S.A.), ou mieux, en Société d’Economie Mixte (S.E.M.)

L’Etat, tout en conservant ses parts ouvre alors progressivement son capital aux opérateurs de transport privés et pourquoi pas aux conseils régionaux, avec un taquet d’ouverture maximal fixé à 49% du capital.

En cas de réticence forte des opérateurs privés, cet actionnariat pourrait être imposé comme un droit d’entrée aux principaux opérateurs.

De même, les conseil régionaux qui souhaitent développer le rail dans leur région ont tout intérêt à acquérir quelques parts de RFF, ne serait-ce que pour faire valoir leurs intérêts et aussi faire face à leurs responsabilités en matière de réouvertures ou de maintien de lignes peu fréquentées.

En cas de grosses difficultés, l’actionnariat pourrait être élargi à d’autres partenaires, mais tendrait par la pression des intérêts lucratifs à remettre en cause la finalité première de l’opération : faire de RFF et du réseau ferré national un outil au service de ses utilisateurs. Toutefois un partenaire avec une vision strictement financière comme la Caisse des Dépôts et Consignations aurait parfaitement sa place dans le dispositif.

Mettre ensuite en place une vraie stratégie industrielle

L’argent investi dans cette nouvelle structure « RFF » servirait à financer d’une part les investissement de remise à niveau du réseau et d’autre part les infrastructures nouvelles.

La direction de RFF aura alors à mener une vraie stratégie industrielle pour avoir une situation financière équilibrée. Les bénéfices dégagés permettraient soit d’investir, soit d’être reversés aux actionnaires (dont Etat).

Cela suppose aussi que RFF facture à ses clients (SNCF et autres transporteurs) les vrais prix, y compris aux régions qui souhaitent maintenir telle ou telle ligne au titre du service public.

En cas de vente d’actions par l’un des partenaires, l’Etat aurait un droit de préemption pour éventuellement augmenter sa participation.

Un bénéfice annuel de 3 à 4 % du capital investi serait un objectif raisonnable (bien en deça donc de ce qu’exige la finance internationale).

Certes cela nécessitera un effort de la part d’actionnaires privés d’avoir une immobilisation financière « peu rentable », mais cela leur donnera un droit de regard et un pouvoir de décision sur la gestion de l’infrastructure ferroviaire, en ayant une minorité de blocage.

Il va de soi que regrouper ainsi des partenaires (Etat, régions, SNCF, entreprises privées) positionnés sur des segments de marchés très différents (voyageurs longue distance, TGV, services régionaux interurbains, services périurbains, transilien, fret, transport combiné ne se fera pas sans difficultés.

L’Etat restant majoritaire, il jouera le rôle d’arbitre, en cas de conflits d’interêt des différents partenaires.

La direction de RFF aura, dans le cadre de sa politique industrielle, à faire de vrais choix : oui, sûrement le fret, plus rentable, sera prioritaire sur les TER, oui les tarifs appliqués sur telle ou telle section de ligne devront refléter les vrais coûts d’exploitation quitte à dissuader le maintien de certaines lignes.

En conclusion, ce dispositif aurait le mérite :

- de maintenir l’unité du réseau,

- de maintenir un lien fort entre l'infrastructure et utilisateurs (SNCF transporteurs privés, régions) par le biais du conseil d’administration et de faire de RFF un outil au service de ses utilisateurs,

- d’assainir les finances du système ferroviaire,

- de financer les infrastructures nouvelles,

- de mettre tous les acteurs face à leurs responsabilités, dont notamment les régions, qui veulent des TER mais qui ne veulent pas payer l’infrastructure.

Je n’ignore pas que le contexte économique actuel et que le cadre juridique national et européen rendent difficile la mise en oeuvre d’un tel projet.

Je n’ignore pas non plus qu’un tel projet provoquerait des levées de bouclier à gauche comme à droite, en raison de son coût (mais l’Etat a t-il le choix ?) , ou en raison de la privatisation partielle et de la fermeture de lignes à faible trafic.

Mais il faut bien avoir conscience que s’il l’on souhaite développer en France et en Europe le transport ferroviaire, des mesures justes doivent être appliquées avec courage, détermination et fermeté.